Les ainé-e-s et la mobilité : portraits choisis

A chaque âge ses défis en matière de mobilité. L’été dernier nous avions exploré le quartier avec des enfants, interviewés à la Maison de quartier Concorde. Cet hiver, ce sont quelques seniors de la Concorde et des Jardins du Rhône, qui nous parlent de leurs cheminements dans le quartier et plus loin.

 

Liselotte et son abo TPG

À un moment, la voiture est devenue inutile ça n’avait plus de sens : plus d’enfants à transporter et le temps passe, je n’allais pas conduire jusqu’à 100 ans ! Alors, j’ai vendu ma voiture et j’ai pris un abonnement annuel TPG. Ça fait 20 ans et je l’utilise presque tous les jours. J’essaye d’éviter les heures de pointe, je vais plutôt en ville le matin, quand il y a moins la foule qui court partout. C’est facile, l’arrêt est à 30 mètres, à quelques pas ; je vais au Lignon, aux Charmilles, au jardin Botanique, au Parc la Grange ou à la gare, je prends même les mouettes l’été. On a la tête libre d’aller où on veut sans se soucier de rien.

En principe, je vais aussi marcher tous les jours dans le quartier, au sentier du Rhône, au Parc des Franchises ou au Parc Hentsch. La balade du Parc Hentsch est agréable. Par contre, on ne peut s’y asseoir qu’en été, sur les petits murets car il n’y a pas de bancs. Je pense que c’est fait exprès, c’est un parc fait pour les jeunes, pour faire du sport, il y en a beaucoup qui courent. Les statues évoquent le sport d’ailleurs, certainement en rappel de l’ancien stade de foot. Ce n’est pas un parc fait pour les personnes âgées contrairement à celui des Franchises où il y a plein de personnes âgées sur les bancs. Mais je le trouve quand même très joli, c’est fleuri. J’ai fait de belles rencontres sur ces petits murets.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Karin et son vélo

Je suis arrivée en juin de l’année dernière à Genève et je ne savais pas où mettre une voiture : je n’avais pas de garage, il est difficile de trouver des places de parking et ça coûte cher. Le bus passe jute devant, alors je ne l’ai pas gardée, je n’en avais plus besoin. Par contre, j’ai gardé mon vélo et je l’utilise encore de temps en temps. Je choisis uniquement des itinéraires avec de bonnes pistes cyclables, celles qui sont en dehors de la route. Je vais aux Charmilles ou vers Lancy. On peut même rentrer le vélo dans le bus mais ça c’est trop compliqué pour moi. Sinon j’aime aller marcher aux bords du Rhône. Pour moi qui ait encore la capacité de le faire, on y est très vite.

Je fais encore pas mal de choses à pied mais j’ai aussi un abonnement multi courses parce que je prends le bus de temps en temps. La dernière fois, il n’y a avait pas de place assise. Je ne voulais pas demander alors je me suis accrochée mais le bus a dû freiner et je me suis fait mal au dos parce que j’étais debout. J’ai encore mal maintenant alors que j’avais déjà un problème de dos, ça c’est embêtant. J’ai le malheur qu’on ne me donne pas tout à fait mon âge (rires) alors maintenant je demande, surtout si le trajet est long. En tant que femme je pense même que nous avons plus de facilité que les hommes, les gens sont sympas, ils laissent leur place.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

André et son Rollator

Je suis arrivé dans le quartier en 2011, avant j’habitais Plainpalais. Ma mobilité a beaucoup changé depuis mon arrivée parce que j’ai la maladie de Parkinson. À un moment donné, c’était clair que la voiture, ce n’était plus du plaisir. Mais pour moi c’était important de pouvoir rester mobile. J’ai maintenant un Rollator, autrement je tomberais. Avec lui, je vais encore jusqu’à Planètes Charmilles à pied. J’aime aussi prendre le bus, il passe juste devant, c’est vraiment un grand avantage surtout quand il pleut. Le chauffeur abaisse le bus et pour l’instant ce n’est pas encore trop lourd de porter mon Rollator. À l’intérieur, il y a deux places réservées pour les gens âgés ou handicapés. Pour faire se relever les gens, il faut parfois insister mais je leur montre le signe.

Si j’étais devant Monsieur Maudet, j’aimerais lui parler de la sécurité sur les trottoirs. C’est vraiment dangereux avec les trottinettes qu’on n’entend pas arriver. Et aussi parler des feux qui ne sont pas toujours bien synchronisés. C’est souvent trop court, particulièrement quand il y a un îlot au milieu de la route. Souvent, on arrive à l’îlot et on ne peut pas continuer à traverser parce que ça passe trop vite au rouge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sonia et ses petits-enfants

On habite à Camille-Martin depuis 2017, avant j’habitais à la Jonction. J’aime beaucoup ce quartier, c’est plus vert. Je ne me déplace que dans un but précis. Je vais souvent à l’école de Cayla pour mes petits-enfants. Les vélos y vont fort là-bas alors qu’il y a plein d’enfants qui passent. Il y a une patrouilleuse scolaire devant le Pavillon Cayla mais pas au passage qui est plus haut, celui qui passe devant la fontaine et qui permet de rejoindre l’école primaire de Cayla. L’été, je les emmène à la piscine du Lignon mais ça devient difficile de les sortir de l’appartement, ils sont beaucoup sur les tablettes. On a encore une voiture mais c’est surtout mon mari qui la conduit. On l’utilise pour aller voir nos petits-enfants à Archamps chez ma fille.

Le soir je ne sors plus. Avec tout ce qu’on entend à la télévision et à la radio. Et mon mari a été attaqué deux fois, une fois à la Jonction et une fois à la gare. Puis on n’a plus d’intérêt à sortir. Parfois je vais au théâtre de la Comédie. Alors là c’est bien car le 9 s’arrête tout près, mais je n’y vais pas seule. Il y a longtemps que je voulais refaire de la gym. Ma belle-sœur donnait des leçons au Parc des Franchises mais il n’y a pas de bus pour y aller et dès que le soir tombe je ne veux plus traverser le parc. Quand il y a les assemblées de la SCHG, à Henri Dunant, heureusement on est plusieurs à traverser le parc parce que, seule je ne m’y aventurerais pas. Depuis qu’ils ont fait cette salle au pied de mon immeuble à Camille-Martin, je n’ai plus d’excuse : le lundi matin, on fait du Pilates ici, on est huit personnes. Je dois juste m’habiller et descendre, c’est vraiment pratique. On s’est mis d’accord avec les autres usagers de la salle parce que les tables et les chaises sont lourdes. Alors c’est les parents qui font les anniversaires qui rangent les tables parce que nous, c’est un cours de gym pour les personnes âgées, on n’a pas la force de transporter tout ça.
Ce qui me manque un peu dans ce quartier c’est les restaurants ; pour manger il n’y a pas beaucoup de choix.

 

 

 

 

 

Jeanine et ses ami·e·s

J’habite le quartier depuis deux ans et demi. J’ai des problèmes d’équilibre : ça tourne et je n’entends pas bien alors j’ai assez peur de sortir. Généralement je ne vais pas très loin et plutôt avec quelqu’un. Je vais faire mes courses au plus près. Je n’utilise pas encore le Rollator mais ça va venir… Aujourd’hui j’ai été à Carouge, en bus et j’y suis allée seule. Les endroits que je connais je m’y rends sans souci mais si c’est inconnu, je préfère y aller accompagnée. Ce n’est pas que j’ai peur de me perdre. Si c’est le cas, je ne suis pas gênée pour demander mon chemin. Mais c’est plutôt que je pourrais tomber, ça pourrait m’arriver parce que je ne marche pas bien.

Avant j’avais une voiture, un vélo moteur, un vélo, des patins à roulettes et même des patins à glace. A l’époque on pouvait faire du patin sur les trottoirs, c’était pour tout le monde. On ne parlait pas de tout séparer et de transformer toute la ville. Je trouve qu’on a de la chance, en beaucoup d’endroits il y a quand même des aménagements qui permettent à tout le monde de se promener tranquillement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lili et sa Jaguar

Je suis arrivée dans le quartier en février 2015, tout allait très bien jusqu’à ce que je tombe pendant le Covid. Depuis j’ai un déambulateur. C’est juste pour ne pas me casser la figure alors je l’ai fait alléger par un professionnel à la rue de Saint-Jean. Il a enlevé tout l’cheni : le siège, le panier,… Maintenant il pèse 4,5 kg, tout en fibre de carbone. Je sors quasiment tous les jours aux Charmilles, je fonce avec mon déambulateur. C’est ma Jaguar. J’aime beaucoup marcher. Il est vrai que je sors moins depuis le Covid, ça a cassé quelque chose ; on s’est réveillé on n’était plus tout-à-fait pareil. Il y a des choses que je faisais, que je n’ai plus envie de faire et je me dis « bouge toi un peu, tu ne vas pas commencer à pleurnicher dans ton coin ! ».

Ce qui me pose problème dans ce quartier et ailleurs, c’est que c’est la ville du non-droit pour les vélos. Aujourd’hui, sur les trottoirs, nous avons perdu tout ce qui fait la beauté d’être piéton, on doit être sur le qui-vive, tu ne peux pas regarder un oiseau en croyant que tu es tranquille. Dernièrement, j’ai failli me faire renverser sur le passage piéton alors que le feu était vert. C’est incroyable le manque d’égard de la part des cyclistes. Les conducteurs de voiture sont bien plus respectueux.

Par contre, ça fait des années que je me demande pourquoi c’est le piéton qui doit attendre trois plombes pour laisser passer les voitures. Pourquoi ce sont ceux qui sont assis dans leur bagnole, qui ont toujours la priorité ? À certaines heures, il devrait y avoir des feux clignotants qui donnent la priorité au piéton. Ce serait une bonne idée à tester dans ce quartier vu qu’ils vont faire des nouvelles choses. Depuis les années 50, tout le monde circule en bagnole à Genève. Mais moi je suis très vieille alors je me souviens… Pendant la guerre, il y avait juste un simple feu rouge qui tournait et les vélos étaient les rois de la route ! Aujourd’hui, même si la voiture est très utile, il est temps que les gens l’emploient moins, il faut penser à des systèmes alternatifs.

 

 

 

 

 

Denia et son chien Michael

J’habite à la rue Camille-Martin depuis une quinzaine d’années. Depuis que j’habite ici, je fais des connaissances grâce à mon chien. Les gens ont parfois plus de facilités de parler à un chien qu’à un être humain. Michael, mon chien, c’est un bon prétexte pour rencontrer des gens. Parfois, je me trouve un peu seule. Oh je ne vais pas me mettre à pleurer mais quand on prononce le mot « seule », on a les émotions qui viennent avec. Heureusement, j’ai des amies, parfois on se retrouve dans un petit café, on se raconte nos petits soucis. Et surtout, j’ai mon chien qui me fait vivre, qui me fait sortir, qui me donne de l’amour. Grâce à lui, je sors tous les jours, on fait le tour de l’immeuble. Tout le monde fait le tour de l’immeuble avec son chien même ceux qui ont des bonnes jambes. Je ne connais pas d’endroit où je pourrais aller avec le chien, comme une forêt par exemple. Alors on descend traîner à la Placette, dans les magasins. Lui il marche et moi aussi. Et quand on rentre à la maison, il est crevé et moi aussi.

Quand je suis arrivée ici, d’abord je me suis sentie loin de tout mais finalement, j’ai pris mes repères. Les bus 9 et le 7 vous amènent où vous voulez ! Quand je prends le bus, je choisis des moments où il n’y a pas trop de monde. Par contre, je trouve que la conduite des chauffeurs de bus est très brusque : quand ils s’arrêtent on fait un aller-retour sur notre chaise. Moi j’ai des problèmes de jambes alors quoi qu’il arrive, pour monter ou descendre du bus, il me faut la barre à laquelle m’accrocher et en même temps j’appuie sur le bouton pour que la porte ne se ferme pas sur moi. Pour aller faire des courses aux Charmilles, je prends le bus jusqu’à Contrat-Social puis je marche avec mon caddy. Si je prends le caddy, je ne peux pas prendre mon chien. Dans tous les cas, je ne peux pas porter énormément de choses.

La dernière fois que j’ai rendu visite à mon fils à Marseille avec ma valise et mon chien, au moment d’attraper ma correspondance, mon fils courait avec mon bagage et moi je n’avais que le chien mais je ne pouvais pas courir. C’est là que mon fils a vu que je ne pouvais plus voyager seule, que j’allais finir par tomber. Je ne suis encore jamais tombée mais c’est vrai que j’ai les pieds qui flanchent parfois. Je ne voulais peut-être pas le voir. Alors maintenant j’ai compris. Quand je pars en Algérie, on vient me chercher à l’aéroport et on me pose comme un paquet. J’ai dû changer mes habitudes. Ça m’attriste parce que j’aimais beaucoup voyager toute seule. Mais ce n’est plus comme avant : si je marche vite, je suis toute essoufflée. Ma vie a beaucoup changé, elle s’est tassée. Il faut y aller tranquillement.

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